Tony Ruiz était en mission. Une mission de la plus haute importance, digne des aventures épiques qu'on voit dans les films, un truc primordial pour l'avenir de l'humanité. Il lui fallait bien se dire tout ça pour supporter le froid et l'humidité dans ses chaussures alors qu'il trébuchait dans les fougères depuis une petite heure. Courage Tony, il se répétait. C'est pour sauver l'esprit de Noël. L'esprit de Noël, Tony.
Il commençait à en avoir sa claque, de l'esprit de Noël.
Tout ça, comme à peu près tout ce qu'il lui arrivait dans sa vie, il le devait à son immense bonté, évidemment. Quand une paire de gamins du dortoir Ecume avaient raconté à leurs copains qu'ils n'avaient jamais eu de sapin de Noël de leur vie, son cœur en chocolat/guimauve avait fondu et dégouliné sur le parquet. Et voilà pourquoi il s'était proposé pour aller chercher un sapin, seul, dans la forêt. Parce qu'il était un héros.
A vrai dire, la mission était plus ou moins officielle. Aucune autorité de l'école n'aurait laissé Tony se balader sans supervision avec une scie, et pourtant, il était là à patauger dans la boue avec l'outil, affichant son air menaçant habituel. Pour être honnête, il était plus dans l'esprit Halloween qu'autre chose.
Donc bref, il était tranquillement en train de faire ses repérages pour trouver le plus beau sapin de la terre, tripotant un vieux bracelet en plastique qu'il venait de trouver et de mettre dans sa poche, et-
«
T'as bientôt fini de me suivre ? »
Et il y avait cette conne. Enfin, le mot était peut-être un peu fort, mais c'était connu, Tony était dix fois plus grognon quand il avait les pieds froids, et là il avait les pieds giga froids. Sérieusement, de l'eau était en train de rentrer dans ses chaussures, et elles étaient censées être rembourrées et tout.
Donc bref, cette conne donc, qui l'agressait, alors que rappelons le, c'était lui qui avait une scie entre les mains.
Tony sentit immédiatement les ondes négatives entre eux deux. Ça devait être sa toute nouvelle intuition de Dieu Maya, mais il le sentait pas. Peut-être était-ce le fait qu'elle avait l'air absolument énervée sans aucune raison, ou le fait qu'elle mesurait la même taille que lui et que son égo masculin était fragile. Ou peut-être que c'était l’alignement des planètes, bref on s'en fout.
Il pointa donc sa scie d'un air accusateur vers elle, n'ayant absolument pas l'air d'un tueur psychopathe.
«
Et voilà. ET VOILA. C'est toujours la même chose. A chaque fois que j'essaie de faire un truc bien dans ce monde, on m'accuse. Est-ce que j'ai l'air de te suivre ? Sérieusement ? Est-ce que j'ai l'air d'un mec qui suit des gens ? Ça se voit pas que j'essaie de sauver l'esprit de Noël ? Putain. »
Et il donna un coup de pied frustré dans une souche, ce qui ne réchauffa pas vraiment ses orteils comme il l'aurait voulu.