Avery a remonté son écharpe jusqu'à son nez dans l'espoir de s'y cacher du reste du monde, elle s'enfonce un peu plus dans son manteau à chaque pas et a oublié ses poings serrés dans ses poches un peu trop grandes : elle aimerait pouvoir se rouler à l'intérieur et ne plus en bouger. Pourtant autour d'elle, les rues brillent, scintillent, s'illuminent de leurs guirlandes pailletées, leurs boules bien rondes et leurs lumières ambrées alors que dans l'air flotte une légère odeur de sapin caractéristique de cette période de fin d'année. Les visages sont illuminés de sourires ravis et il lui semble que les rues un peu plus remplis qu'à l'accoutumées sont aussi plus bruyantes, plus rieuses.

Alors qu'elle, elle se sent plus terne, plus grise et triste comme un peu à part. Elle continue d'avancer, sans but précis à part inspirer le plus d'air possible dans l'espoir de se vider la tête de Sid, de Elle, de Eux, d'Effie. Parce que sinon, ça se cognent, ça s'entrechoquent et ça saignent de partout, ça fait mal de l'intérieur comme si quelque chose se serrait jusqu'à l'implosion. Elle a besoin d'air pour tout balayer, tout chasser hors de sa tête et ne pas s'étouffer de tous ses sentiments qui ne rentrent plus à l'intérieur d'elle.

Et puis soudain, une pluie de couleurs : des paillettes qui brillent qui virevoltent dans l'air froid, se coincent dans les cheveux clairs délogés d'un coup de vent. Hébétée, la cadette Standford leva lentement les yeux vers le ciel, un beau ciel bleu. Il y eu quelques cris puis, des rires et finalement des applaudissements. Autour d'elle, les gens applaudissaient et elle ne put que leur rendre un petit sourire, timide, un peu amer, un peu gris par rapport aux grands sourires qu'elle faisait à Sidney et un air renfrognée, quelques râlements.

L'adolescente leva les yeux une nouvelle fois : ses yeux rencontrèrent un regard océan étrangement familier, beaucoup trop familier. Le dernier qu'elle avait envie de croiser à vrai dire.

Le visage aux joues roses disparu du ciel bleu sans nuages. Et Av resta plantée là, incapable d'esquiver le moindre mouvement malgré son irrépressible envie de se mettre à courir comme jamais, à s'en brûler les poumons et remonter la rue, passer le seuil de l'académie pour jusqu'à son dortoir et s'enfermer dans sa chambre. Une nouvelle fois, l'air lui manque, plus que jamais, pourtant personne ne semble rien remarquer : elle aimerait crier, hurler, sentir quelqu'un la soutenir mais, aucun de ces visages trop heureux ne la voient vaciller et tituber sur ses jambes.

Effie apparut devant elle, l'air toujours aussi parfaite, l'air toujours aussi candide, un gentil petit sourire sur son gentil petit visage de poupée qui s'excuse de son ton trop poli. Et ça fait mal, mal à l'intérieur cette gamine trop bien, trop parfaite, beaucoup trop parfaite pour Sid même, cette gamine qui semble tout droit sortie d'un conte de fées pour enfant. Elle aurait été la princesse qu'il aurait fallu secourir de tous les dangers du monde, des ténèbres qui la menacent et Av, Av elle aurait été la méchante sorcière qu'on oublie dans un coin.

Avery ne sait plus, si elle doit se mettre à sourire ou à pleurer, si elle doit faire comme si de rien n'était ou lui dire, lui avouer tout, que ce n'est pas la gentille de l'histoire et lui parler de comment elle avait embrassé Sidney, comment elle l'avait serré dans ses bras avec toute l'avidité du monde pour en oublier la réalité, de quelle façon elle lui avait touché les cheveux, avait éclaté de rire juste pour lui plaire. Du beau tissu de mensonges qu'elle avait brodé avec Sidney pendant qu'il devait répéter à la petite princesse qu'il l'aimait et qu'il lui récitait des mots doux.

« Je...Ouais. je crois. Merci. » La voix qui tremble un peu et se termine plus tranchante qu'elle ne l'aurait probablement voulu quand finalement la cadette Standford se reprit. Elle secoua ses mèches clairs pour faire tomber un peu des morceaux de couleurs coincés dans ses cheveux, ces fragments d'un bonheur qu'elle se sentait incapable de regarder en face. Au final, la conclusion restait la même : elle avait toujours envie de fuir, fuir à l'autre bout du monde. Fuir comme une petite fille honteuse alors qu'elle avait déjà dix-huit ans.

« Quel hasard de te croiser ici... » Léger raclement de gorge, gêné, mais, qui sonne toujours beaucoup trop froid comme les températures. Et Av détourna lentement les yeux sur les côtés, en se mordillant les lèvres, pour éviter ceux trip bleus et pus d'Effie, pour éviter ses jolies boucles bondes, son air ravi, pour éviter ce pincement au fond de l'estomac, ce nœud qui lui remonter le cœur dans la gorge à tout ce qu'elle tente pourtant d'oublier pour un temps. Mais, elle peut bien courir, il semblerait qu'elle ne pourra jamais courir assez loin pour oublier.

Avery tressaillit à peine quand l'adolescente passa sa main dans ses cheveux, épousseta son écharpe puis ses épaules pour chasser les paillettes : il y avait quelque chose de tendre, d'infiniment doux chez Effie. Quelque chose de rassurant presque, c'était comme si maintenant qu'elle était là, plus rien ne pouvait arriver et qu'elle lui offrirait toute la candeur du monde dans ses sourires aimants, dans ses mots délicats. Et elle sut, pourquoi Sidney n'avait pas pu lui dire, pourquoi Sidney avait oublié la petite fille à la robe bleue qui ne pourrait jamais lui offrir tout cet amour, qui ne lui avait toujours offert que ces lames pour se planter avec.

« Puisqu’on se retrouve toutes les deux ici, ça te dirait qu’on passe la journée ensemble? » Elle hocha doucement la tête, presque timide maintenant. Parce qu'Av, elle était fatiguée de courir à présent, fatiguée d'attendre et de se battre. Elle était éperdue, elle se sentait seule parmi le monde et plus personne à qui se raccrocher, plus personne chez qui pleurer. Plus personne pour lui dire que tout irait bien, pour lui promettre une glace au chocolat pour effacer ces vilaines larmes sur son visage.

« Je. J'aimerai bien...faire les boutique. » Oh Effie, je suis désolée. Excuse-moi. Oh Effie, si tu savais, tout, est-ce que tu ferais encore ce joli sourire avec tes dents blanches qui retournaient son cœur à Lui ? L'australienne esquiva un petit sourire, aux coins amers, avec un sale goût sur le palet de pas faire, encore une fois, les choses comme il fallait, d'avoir les jambes encore tremblante et l'estomac noué. Oh Effie, j'ai compris maintenant, un peu tard, mais, je sais pourquoi Il n'a jamais pu te dire au revoir, pourquoi c'est mieux que tout se soit brisé sur le sol et que je sois la seule à me couper les pieds jusqu'au sang avec les morceaux. Parce que moi, je ne suis pas assez forte, j'ai les mots coincés sur la langue et les larmes aux coins des yeux.

« Où...où veux-tu aller ? Je connais pas. Grand chose d'intéressant je crois...» Et Avery, elle aimerait juste marcher à s'en perdre dans les rues de l'île et ne jamais rentrer à la maison. Elle aimerait partir à l'aventure, en montgolfière, ou sur un nuage pour oublier.

Avery sentit les petits doigts d'Effie prendre les siens, ils étaient fins et délicats pas comme ceux de Sidney mais, a paume était tout aussi chaude et Avery l'aurait suivi jusqu'au bout du monde, cette main de poupée. Elle pressa timidement ses doigts dans les siens comme s'ils pouvaient lui faire oublier le monde, lui couvrir doucement les yeux pour ne lui raconter que des jolies choses qui font des soleils à l'intérieur, lui boucher les oreilles ne plus rien savoir et la bercer comme une enfant. Elle l'aurait suivi décrocher les étoiles si cette main l'y avait entraîné.

La porte du magasin se referma doucement dans le dos de l'adolescente, la chaleur de l'endroit l'enveloppa et il flottait dans l'air une légère odeur d'épices. Devant elles s'étendaient des étagères d'objets en tout genre, aux formes variées et aux couleurs pastelles toutes douces à l'œil. Sans pouvoir défaire ses doigts du petit ange, l'australienne laissa ses yeux se promener avec une certaine hésitation, comme un peu mal à l'aise : elle ne savait plus vraiment où se mettre. Elle avait tellement peur que tout se casse, se brise et s'envole au moindre faux pas, elle craignait tellement que tout lui échappe une nouvelle fois entre les doigts sans qu'elle puisse en retenir les morceaux.

Il y avait un petit chien en porcelaine sur l'étagère, deux petits anges sculptés sur une minuscule boite à bijoux, des petites maisons fleuries, des tasses avec des petits messages remplis de tendresse, des bougies aux délicates odeurs florales, des coussins à carreaux, des vases aux jolis paysages...Tout semblait dégager cette douceur paisible, tranquille et rêveuse qui caractérisait Effie. Avery était au bout du Monde, là où personne ne la retrouverait jamais.

« C'est joli...» Glissa-t-elle, le nez toujours enfouie dans son écharpe, pressant légère la main de la princesse aux boucles blondes pour lui montrer une petite tirelire en forme de champignon où était peint différents instants d'une maman souris et ses trois souriceaux. A côté, se tenait une peluche poussin, Avery avait toujours aimé le jaune. Jaune comme le soleil, jaune qui aveugle et qui fait sourire de toutes ses dents. Elle l'effleura du bout des doigts.

« Avery, je sais! Choisi ce qu’il te plait et je te l’achète. C’est bientôt noël après tout… Ce sera mon cadeau pour toi, d’accord? » La honte, toute cette honte qui l'envahissait, elle aurait voulu la vomir sur le sol, des litres et des litres de honte et se cacher derrière. Elle serrait à présent la main du petit angelot blond de toutes ses forces comme pour retenir sa douceur encore un peu, capter quelques unes de ses couleurs pastelles et lumineuses. Elle avait une boule au fond de la gorge et les larmes au bord des yeux, si elle avait pu, elle aurait éclaté en sanglot et elle aurait pleuré pendant des heures sans s'arrêter. Pour se détacher de toutes ces couleurs dégueulasses qui lui collaient à la peau: Avery se sentait sale, laide, dégueulasse, pourrie. Pourrie d'accepter toute cette douceur, toute cette gentillesse qu'elle ne méritait pas parce qu'Av, elle aurait brisé la candeur de la petite princesse sans hésiter pour vivre son propre bonheur.

L'adolescente ne put qu'hocher la tête, de peur qu'un peu plus ne libère des marées, elle ne se sentait plus capable de rien et elle se dégoûtait, plus que tout. Elle se filait la gerbe parce que finalement, elle ne valait pas mieux que Sidney. Ses doigts attrapèrent la peluche, minuscule dans sa main, fragile. Il ressemblait un peu à Effie alors ça serait un cadeau d'Effie, de son sourire, de sa gentillesse, de son amour tendre qu'on a envie de garder au creux de ses mains comme un petit soleil pour les jours moches, pour lui donner du courage.

« Je...Je ne la connais pas vraiment mais...elle a l'air d'aimer le rose ? » Avery sentit sa voix vriller au milieu mais, réussit à légèrement redresser le tir et força un sourire pour rassurer la poupée blonde. Ô Effie ne t'inquiètes surtout pas, tu n'as pas besoin de te faire du soucis pour rien alors continue à sourire comme si tout pouvait aller bien pour toujours et Avery ferait semblant de te croire, promis.

« Peut-être un ruban...? » Un ruban petit et délicat à mettre dans les cheveux, discret mais, élégant qui sent bon les fleurs et qui rappelle le souvenir tendre de l'ange blond. Ô ce serait un très joli cadeaux, un cadeau pas vraiment extraordinaire mais, qui fait sourire parce qu'il a été cherché avec le cœur.

« Je ne sais pas. C’est suffisant un ruban pour noël? Tu veux que je t’offre ce poussin? » Avery resta perplexe par la question: il fallait qu'elle regarde Effie dans les yeux et qu'elle lui dise, yeux dans les yeux, cœur découvert, qu'elle acceptait ce morceau d'Elle alors qu'elle l'avait déjà poignardé dans le dos, elle l'ignorait juste encore. Et l'adolescente s'en senti encore moins bien, c'était comme si elle avait arraché un fragment de sa pureté et qu'elle l'avait sali, souillé avec toute sa saleté à elle. Sa saleté dégueulasse qui lui collait à la peau et qui lui donnait envie de vomir tous les matins quand elle croisait son reflet dans la glace, cette saleté qu'on appelait aussi culpabilité et qui lui pesait un peu plus sur la poitrine chaque instant, chaque seconde, chaque sourire innocent du petit ange. Elle ne put qu'esquiver un hochement de tête, sentant ses jambes trembler un peu plus, son estomac se retourner.

« Pour Rosie j’ai envie de continuer à regarder. Je suis à peu près sur de ne pas lui faire très plaisir quoi que je choisisse, c’est stressant! » Arrête de rire, s'il te plait. La cadette Standford avait soudain envie de l'attraper par les épaules, en les serrant de toutes ses forces et de la secouer, encore et encore. Arrête de rire, Effie. Elle voulait tout lui crier, toute la vérité. Ô il faudrait lâcher cette main chaude et rassurante, ô elle aurait toujours la gerbe mais, Effie la déchirait par ses sourires, ses rires. Effie épargnée de tout, Effie qui ne voyait pas, Effie trop tendre qui aimait trop facilement. Effie la tuait un peu plus chaque fois de ne pas savoir encore qu'Avery était la pire des ordures. Effie elle la tuait d'être si aimable.

« Je...sui sûre que quoi que tu lui achète ça lui fera plaisir parce que...c'est toi. » L'adolescente se mordit la lèvre pour retenir la nouvelle vague de malaise, tentant un sourire maladroit pour rassurer la princesse aux boucles blondes. Cette fois encore Avery ne ferait rien. Honte, colère, malaise, dégoût, c'était comme un mélange de sentiments qu'elle enfouissait un peu plus profondément, qui la brûlait de l'intérieur mais, qu'elle refusait obstinément de laisser exploser. Parce qu'il fallait protéger Effie de ses propres démons.

« A sa place, je serai heureuse parce qu'on a pensé à moi...» Le monde semblait tanguer autour d'elles et Avery avait le cœur au bord des lèvres.