the rain in spain stays mainly in the plain — ft. morgan

Je déteste qu'on cède pas à mes caprices.
Enfin, pensez pas que je suis capricieuse, c'est pas vraiment le cas, mais maman avait tendance à appeler mes demandes d'argent, de vêtements et de sorties des « caprices » et j'ai tout de suite accroché avec ce mot qui jusqu'à lors m'était parfaitement inconnu. Alors voilà. Je déteste qu'on me refuse quelque chose que je demande très fort et très gentiment. Je suis une étoile. On devrait rien me refuser, hein ? C'est comme ça dans les films, il y a cette fille à qui on refuse rien, parce qu'elle est brillante. Je suis brillante. Je fais tout pour être brillante. Donc on doit m'obéir.
N'est-ce pas ? Oui, totalement.

Pourquoi Morgan est si difficile à convaincre alors ? A son âge, j'étais déjà membre de la milice du bon goût. Vraiment, je vous jure, maman m'avait déjà fait lire tous les magazines du monde et fait apprendre par cœur les conseils beauté de base. Je suis bien consciente que tout le monde n'a pas cette chance, sincèrement. Ça se voit rien qu'à regarder les chaussures des gens dans la rue. Associer la couleur de ses chaussures à celle de son vernis, je vous le dis, ça craint. Ou ne pas changer de chaussures pendant dix ans. Ça aussi ça craint. Et ça se voit en plus. Ça crève mes yeux, dans tous les sens du terme. Enfin bon, j'imagine que vous comprenez la complexité de ce que j'essaye d'exprimer maintenant : je suis une sorte de privilégiée de la société de la mode universelle. Et je voudrais vraiment, vraiment partager ça avec Morgan. Elle a du potentiel, cette jeune fille, j'en suis persuadée. Elle pourrait devenir quelqu'un de bien si elle m'écoutait un peu, si elle acceptait de comprendre que je ne lui veux que du bien. Je veux juste lui faire entendre que là, son look craint, mais que grâce à moi ça peut super grave s'arranger et qu'elle peut devenir une vraie star. C'est pas si grave quand même nan ? C'est même super méga simple, parce qu'elle a rien à faire et moi je fais tout. Elle rien et moi tout. Un peu comme dans My fair Lady, vous savez. Ce film où une fille qui craint devient une fille super en à peine trois heures de scénario. Tout le monde connaît ça. Eh bah Morgan est Audrey Hepburn, et moi je suis la version blonde et cool et féminine de Rex Harrison. Il faudrait juste qu'elle ait un déclic, une prise de conscience existentiellement existentielle. J'y pense depuis des jours à ce qui pourrait constituer ce déclic. De vrai. J'y ai pensé de façon intense, entre mes smoothies au thé vert, mes séances de manucure et mes déchiffrages de magazines people.

Et alors ce qu'il lui faut de façon absolument absolue, c'est un lieu où sa féminité puisse s'exprimer expressément. Et j'ai pensé aussi que du coup, ce lieu de la féminité, ça ne pouvait être qu'un lieu euh. Pailleté. Rosé. Pastel. Féminin quoi, même si de prétendues féministes essayent de nous faire croire le contraire je suis pas d'accord. Le rose sera toujours ma couleur. Et j'incarne la féminité, non ? Ou au moins un jour j'incarnerai la féminité. Quand j'aurai trouvé l'astuce beauté d'Angelina Joli, c'est clair. Voilà bref il me fallait ce lieu. Et parce que je suis une brillante brillance, je l'ai trouvé quoi.

C'est pour ça que j'ai kidnappé Morgan pour l'emmener à la Candy House.
Enfin pas vraiment trop kidnappé. Je lui ai juste mis mon sac Chanel sur la tête au détour d'un couloir. Et je l'ai traînée en brouette jusque là-bas – au risque de muscler mes bras comme une basketteuse, l'horreur. Et puis je l'ai assise sur une chaise et j'ai retiré le sac. C'est tout. C'est pas un kidnapping.

« Salut ! C'est pas un kidnapping, t'inquiète. »

C'est un sauvetage en urgence en vrai.

« Tu veux un muffin ? Je te conseillerai de pas en prendre parce que ça rend gros, mais c'est une grande grande grande journée, tu pourras toujours le dépenser ou le vomir plus tard ! »

Je veux pas trop la brusquer quand même. Alors je vais au combat avec douceur et féminité.